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- L'homophonie ne correspond pas véritablement à une seule contrainte,
mais plutôt à un ensemble de possibilités qui font qu'une phrase se
perçoit identiquement - ou bien presque - à une autre écrite
différemment, avec d'autres mots. Cela va des à-peu-près et calembours,
jusqu'aux vers holorimes en passant par les homophonies approximatives.
La langue française se prête assez bien à ces jeux (ainsi qu'aux
contrepets, d'ailleurs), ce qui explique la profusion de calembours que
l'on rencontre depuis longtemps un peu partout dans la littérature, la
presse, la publicité, à la radio ou même à la télévision, c'est dire...
- Si le calembour est souvent pratiqué oralement (quoique, si vous
déclarez en débarquant en Irlande : « Un peu d'Eire ça fait Dublin »*,
celui-ci gagnerait certainement à être lu pour une meilleure
compréhension de tous), et démontre un grand sens de la répartie de la
part de son auteur, il n'en est pas de même des vers holorimes. En
effet, ceux-ci (deux vers ou plus) respectent une homophonie parfaite
entre chacun d'eux : la rime est partout ! Au point que si vous vous
contentez de les réciter, on pensera sûrement que vous vous répétez !
C'est la forme la plus élaborée des homophonies et la plus prisée des
écrivains et poètes depuis des siècles.
Parmi les vers holorimes classiques, les plus connus et les plus cités
par les dictionnaires et encyclopédies (où l'on retrouve souvent
l'ancienne graphie « olorime ») sont ceux composés en distique
d'alexandrins par Marc Monnier mais souvent attribués par erreur à Victor
Hugo :
Gal, amant de la reine, alla tour magnanime,
Galamment de l’arène à la tour Magne à Nîmes.
- C'est évidemment parfait.
- Mais l'humoriste Alphonse Allais est certainement l'un des auteurs
les plus prolifiques en distiques holorimes. En voici un exemple, très
joli :
CONSEILS À UN VOYAGEUR TIMORÉ
QUI S'APPRËTAIT À TRAVERSER UNE FORÊT HANTÉE
PAR DES ËTRES SURNATURELS
Par le bois du Djinn où s'entassent de l'effroi
Parle ! Bois du gin !...ou cent tasses de lait froid.
On peut remarquer qu'au-dessus du distique, sa présentation est bien plus
longue que le texte lui-même. A. Allais en avait fait une spécialité en
écrivant des titres-explications préalables de quatre ou cinq lignes qui
augmentaient beaucoup l'effet humoristique de l'ensemble. Ce procédé est
d'ailleurs souvent utilisé depuis, quand il s'agit de textes très courts
comme les pangrammes par exemple.
Dans le champ de l'holorime, impossible de ne pas citer parmi tant
d'autres qu'elle a composés, ces merveilleux vers de la poétesse Louise
de Vilmorin :
Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas !
Dans le domaine des jeux phonétiques on connaît aussi une autre
variante, celle des textes alphabético-phonétiques. Il s'agit d'écrire
une suite de lettres de l'alphabet qui épelées, produiront
phonétiquement un texte :
LID NOT LU,
- L MA I KZ MO.
SAC AP É VQ ?
Et l'idée est notée et lue,
- elle aima y caser des mots.
Est-ce assez happé et vécu ?
Oui certainement, car cet exemple décrit suffisamment le principe de
cette écriture, qui ressemble un peu dans sa partie supérieure concise à
des cryptogrammes.
Évidemment Alphonse Allais s'essaya au genre, mais c'est certainement
à Louise de Vilmorin que l'on doit les plus beaux poèmes
écrits avec cette forme d'épellation. Extrait de « L'Alphabet des aveux » :
GACZÉFÉT J'ai assez aidé et
fêté
LÉBZIR
Et les baisers d'hier
LRULDT
Et les ruelles d'été
LÉJFMR
Élégie éphémère
OWGT
Au doux bleu végété.
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- Pratiquant les calembours depuis fort longtemps, je ne pouvais
qu'être séduit par ces jeux homophoniques. Les textes qui suivent
en présentent plusieurs variantes.
* Jean-Paul Grousset / Si t'es gai ris donc / Julliard 1963
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