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Lettre ouvragée

   

          (égarée sur tous les plans, elle touche au but sur l’abscisse en X)

 
 


Après de longues et difficiles recherches, il a été possible de retrouver la lettre originale qui a valu une réponse de la part du fameux Docteur AZ, psychanalyste. Celle-ci peut d’ailleurs être consultée page 93, parmi d’autres textes essentiels, dans un ouvrage devenu célèbre et incontournable (1).
Poursuivant la traque à ces missives et avant publication dans cette BLO, des spécialistes ont dénombré dans la lettre ci-dessous pas moins de 70 antistrophes (pourquoi un chiffre aussi brillant, d’ailleurs ?) ! Devant une telle accumulation de lapsus linguæ involontaires, nous ne pouvons que conseiller à son auteur (un mystérieux Docteur PB, qui semble bien jeune comparé à son illustre confrère) de suivre une nouvelle analyse sérieuse. Et pourquoi pas avec ce bon Docteur AZ ?

 La Rédaction

(1) Je suis le ténébreux, Éditions Quintette


* * *
                Cher confrère,

     Connaissant votre compétence quand il s’agit pour vous de telles routines, je suis sûr que vous ne serez pas trop peiné et pourrez décoder sans limite, avec texte et sons et plus encore, face à ce gentil petit poème.
     Il m’a été envoyé par un certain N***, plutôt déshérité, abusé par les hommes et qui, avec les femmes déçues a beaucoup trinqué aussi. Il veut travailler, aider les personnes en difficulté, ceux qui sont sans valoche, abandonnés sur la berge.
     Je vous transmets son texte afin que je puisse voir bientôt un bon message de votre part. Bien sûr, vous pouvez trancher, mais sans trop de semonces tout de même, car ni l’un ni l’autre n’apprécions les querelles trop moches ! Vous qui aimez les verbes tels de grands joyaux, plutôt exigeant pour l’élève, vous saurez en parler, sûrement en savant mais nullement en badaud.
     Même s’il semble impossible qu’on décèle plusieurs faces dans un même texte, vous qui êtes un homme très avisé, imaginerez très bien les obtenir. Je sais que vous avez vécu déjà de grandes inspirations - parfois assez fêlées, disons-le -, et je suis sûr que vous trouverez encore quelques bottes secrètes pour satisfaire ces mythes. Il y a quelque temps, toujours décent, vous avez formé quelques idées, qui sont connues depuis, illustres.
     Quant à moi - tel un Ben-Hur qui rate mais heureusement sans dommage pour son char - malgré tout indécis, j’ai commencé à penser dans toutes les directions. Je vous donne là mes premières réflexions, en solo, mais pas trop erratiques j’espère.
     Évidemment, au départ je me réfère aux vues de Lacan (mais je sais, comme Freud aurait pu le dire, dès qu'on sort Lacan on devient le galeux). Celui-ci aurait certainement remarqué que ce petit nerveux, même amical, veut tout pénétrer et que son moi est bien trop souvent douillet. C’est sûrement pour lui une grande phobie que d’exiler en permanence des parties élémentales comme de mauvais génies.
     Dès le début, avec ses quatrains il parle de tout, et si avec laideur il a beaucoup fréquenté les grands c’est surtout avec une mauvaise imitation des riches. Il n’est pas trop pédant mais joue parfois l'éculé. Par exemple lorsqu’il essaie de placer un pion avec plein de morbide qu’il dote d’effroi (dans le dos ou dans le nez ?) il évoque « la nuit du tombeau » en difficile accouchement. Certes, il a beaucoup perdu mais ne voit-il ici que dégoût net à ses issues ?
     Et puis il y a ces questions curieuses. Quand il demande « Suis-je Amour ou Phoebus ? », veut-il écarter la réalité ? Et pour « Lusignan ou Biron ? », est-ce vraiment digne d'un doute ?
     S’il est parfois long, il est ensuite plutôt court (d’ailleurs Alain - enfin l’autre - a dit à peu près la même chose à propos de Victor Hugo(1)). Si le front est rouge, pourquoi continuer à côté ? Quand il parle de grotte, est-ce autour d’un code ? Et puisqu’il rêve de sirène, pourquoi citer si peu son bain ? Mais finalement cette reine lui offre ici ses plus beaux traits qu’il a sans doute longuement goûtés.
     On peut ajouter que dans le dernier vers avec cette fée qu’il perçoit comme fausse hystérique, il est trop brûlé, à peine sensé, et finalement lorsqu’il parle d’une sainte polyphone et de soupirs, on comprend qu’il n’est pas totalement dupe.
     Quant à la forme, avec ses vers en pieds il sait que la césure est rodée, et pour gagner quelques rimes, il en veut des riches ! Trop sans doute. Ainsi, alors qu’un « consolé » est déjà trouvé, pourquoi met-il en plus « inconsolé », impassible ? Pour provoquer le lecteur asséché ? On souhaite pour l’avenir qu’il évite de se planter sur les mêmes fautes. Par contre il a très bien rimé en plaçant un « luth » au « constellé » bien précis.
    Mais pardonnons-lui, il débute : si la genèse a commencé par la bête, l’humain qui a suivi n’a pas renié son cas. Et sans cesser, contrairement à d'autres falots, il travaillera c’est sûr ! Sans trop détailler, il connaîtra les purs et dans ce but il héritera, pour le meilleur.
    Par ailleurs, et c’est dommage, je me demande si N***, acculé aux bornes, n’aurait pas un peu copié sur les beaux anas d’une Camille Abaclar qui, jamais bêlante, sachant causer, a écrit de nombreux textes sur le même sujet(2). Mais je suis peut-être en pleine anticipation, moi pourtant qui boude en regardant les voyants !
    Vous sachant parmi les plus grands observateurs des pillards et d’un monde maquis improbable, et même si vous devez finir un peu long sur cet état, je suis certain que vous saurez m’éclairer au moins de quelques lumignons féconds.

                       Votre dévoué,

                               Dr PB

 
Pièce jointe : le poème « El Desdichado » du jeune N***


(1) Alain - Propos impertinents, page 61, Éditions Mille et une Nuits, 2002.
    Postface d'Alain Zalmanski
(2) Je suis le ténébreux, Éditions Quintette, 2002.
 

 

Patrice Besnard / _pitre, ça rend bas ! _
Octobre 2005


 
Pourquoi cette lettre et son « chapeau » ? En fait, elle a été composée pour la BLO n°8 dédiée aux soixante-dix ans d'Alain Zalmanski. C'est une lettre imaginaire inspirée par la réponse (antérieure...) très drôle et iconoclaste, tout aussi inventée par Alain Z., qui a été publiée dans l'excellent livre « Je suis le ténébreux » (par Camille Abaclar, pseudonyme pour sept auteurs dont A.Z., bien sûr) qui donne à lire 101 avatars du classique « El Desdichado » de Gérard de Nerval.
Et pourquoi est-elle aussi longue ? Sans compter celles du titre et du « chapeau », c'est qu'elle contient 70 contrepèteries, nombre incontournable pour cette occasion ! Toutes ne sont pas originales : certaines font partie du patrimoine, d'autres miennes se rencontrent aussi dans quelques textes de cette rubrique, mais pour arriver au compte j'ai quand même dû en inventer beaucoup qui devaient coller avec le contexte.
Cet exercice autour du lapsus - l'origine du contrepet - cher aux psychanalystes m'a semblé tout à fait approprié en la circonstance.
Dois-je rappeler qu'Alain Zalmanski est auteur et grand amateur de contrepèteries ?
 
 

 
Pour une meilleure compréhension de l'ensemble et avec la permission de l'auteur, voici la « lettre » publiée par Alain Zalmanski dans l'ouvrage « Je suis le ténébreux », page 93.
 
     Mon cher confrère,
 
Vous m'avez confié un texte anonyme rédigé par un postulant (N***) à un emploi dans votre groupe d'aide à personnes en difficulté. Je vous fais part de mes conclusions :
N*** possède d'évidence un ego marqué traduit par l'abondance de l'utilisation de la première personne du singulier (j'ai, je suis, mon, ma) avec des qualificatifs valorisants (ténébreux sous-entendu beau, vainqueur, prince, Phoebus, Biron).
Cette libido du moi (libido narcissique) ne devient accessible à l'analyse que lorsqu'elle s'empare d'objets sexuels c'est-à-dire quand elle devient libido d'objet. Elle se concentre alors sur des objets, les abandonne, s'y fixe à nouveau, puis les quitte pour se tourner vers de nouveaux objets. C'est bien le stade atteint par N*** comme le montre un vocabulaire passant de l'imaginaire onirique à des manifestations concrètes mais inspiré par une sexualité omniprésente.
On y trouve explicitement l'organe féminin : fleur, rose, étoile et plus subliminal inCONsolé, CONsolé, CONstellé ; l'organe masculin est traduit par des termes « durs », proéminents ou en érection : Tour, Pausilippe, Pampre, Phoebus. N*** est proche également sans le savoir du stade anal avec des lapsus révélateurs (grotte et crotte, luth et flûte ou cul, cour et queue) ou des indications peut-être involontaires mais présentes : DE (solé), (aché) RON (d), (bi) RON (d). Les instruments de musique font également partie du vocabulaire populaire de la sexualité et de l'amour.
Tout est propice à N*** pour satisfaire au sein de circonstances favorables les désirs qu'il cache ; l'obscurité est présente : ténèbres, nuit, tombeau, noir, grotte.
L'acte (baiser, amour) est explicite mais il ne faut pas négliger la petite mort présente inconsciemment dans morte. Même mélancolie (mêlant qu'au lit) n'est pas là par hasard. Mais « le rouge au front » allégorie s'il en est, N*** en est honteux. Manifestement c'est un émotif non actif qui préfère rêver.
Il est la proie de phantasmes classiques : Amours singulières inaccessibles, reines, saintes (donc souvent vierges) et fée (aux puissants élixirs), personnages mi-thiques, mi-femmes (sirène).
Le dernier vers dont la teneur se passe de commentaires révèle la jouissance dans la seule observation du plaisir ou des regrets, mais aussi de faire souffrir l'être aimé avec les ambivalences habituelles à l'humanisme dévot (S'il faut mourir, mourrons d'amour ou Vous me tuez si doucement, ou encore Venez et je sois infâme).
Me référant donc, entre autres, à Freud (Trois essais sur la théorie de la sexualité, NRF, 1962), Bettelheim et Soriano, je ne peux que déconseiller pour N***, qui me semble très fragile, le poste que vous proposez. Peut-être pourriez vous le prendre comme sexologue dans un magazine spécialisé, sans contact direct avec le public.

          Votre dévoué,

                 Dr AZ